jeudi 10 mai 2012

Devenir bilingue à trois ans

Je ne savais pas trop comment ça se passerait. J'avais trouvé peu de documentation sur le sujet, pas plus que sur la vie d'enfant expatrié d'ailleurs (sauf ce livre). Derrière le cliché voulant que les enfants soient "de vraies éponges", je me disais qu'existait une réalité bien différente et que nous allions découvrir ensemble comment on devient bilingue à trois ans. 
***
Tout a commencé par une résistance, un refus presque catégorique : "Non, moi, je ne parle pas anglais".

Puis, trois mois après le début de la garderie (où il ne va que 2 jours semaine, je le rappelle), il y a eu quelques mots, ses premiers mots en anglais : "sorry", "yes", "good boy", "daddy", "chocolate", "thank you"...

Assez rapidement, les chiffres jusqu'à 12. Avec l'accent british, please!
Et les questions de traduction ont fusé : "comment on dit ceci, cela, en anglais ?"

À la garderie, j'ai ensuite remarqué qu'il répondait correctement aux questions d'usage qu'on lui posait, de même qu'il obéissait aux consignes qu'on lui donnait. Il comprenait le code de la garderie, sans besoin de se le faire traduire par son éducatrice francophone.
-"Go wash your hands"...et il y allait.
-"Do you want something to eat/drink ?"...et il répondait oui ou non, en fonction de ce qu'il voulait.
-"What's your name?"...Leon.

Ensuite, le jeu est devenu anglais. Encouragé par le fait que le jeu se passe en anglais au pre-school, par les histoires entendues là et par les émissions qu'il regarde, il a commencé à faire des jeux de rôles en anglais : "I am a shark!"..."I am the big bad wolf"...."You, a fish"...
Et c'est là qu'on a commencé à vraiment s'amuser, qu'il a commencé à prendre plaisir à découvrir la langue. Par le jeu. Ce n'était pourtant pas sorcier!

Un beau matin, en déjeunant, sans que j'ai entendu quoi que ce soit avant, il ouvre la bouche et voici ce qui en sort :
"Three little ducks went swim one day
Over the hills and far away
Mummy Duck said : "Quack, quack, quack, quack..."
And only four little dukck came back."
J'avoue que j'ai retenu une larme. C'était sa première comptine en anglais. D'autres ont suivi assez vite. Ils en apprennent une par semaine au pre-school.

Aujourd'hui, après cinq mois d'une immersion partielle (nous parlons français à la maison et avec la plupart de nos amis ici), les phrases complètes surgissent comme par magie. J'ai entendu les premières au pre-school, puis en jouant avec lui, puis à tout moment.
- "See you next time!"
- "Would you like yummy yummy bread ?"
-" I am a bad T-Rex!"
- " I want to go outside."
- "Yes I could..."
-"I want this..."

Hier, en rentrant du pre-school, il m'a dit : "Maman, je veux parler plus anglais! Encore plus!" Lâche pas, mon petit coeur, tu y es presque...

Jean-Léon y est presque, en effet. Il touche au but que nous avions fixé pour lui : ressortir de cette expérience de déracinement en possédant une langue seconde. Nous avons tout fait pour que cela arrive, y allant de stratégies qui nous sont venues naturellement et spontanément, souvent intitiées par le comportement de Jean-Léon lui-même. Je les relève ici :

1) regarder la télé : je ne croyais pas au pouvoir de la télé pour apprendre une langue étrangère. Et pourtant, l'expérience que nous vivons en ce moment me convainc des bienfaits de la télé pour apprendre les expressions idiomatiques, saisir l'accent, se faire l'oreille. Nous avons ratissé internet à la recherche d'émissions qui pouvaient aider notre fiston avant de nous arrêter à CBeebies, la chaîne pour enfants de la BBC qui diffuse toute la journée une programmation éducative de qualité et intéressante.

2) jouer : la puissance du jeu de rôle. Quand on est un "big bad wolf" ou un "Octonaut", on est bien obligé de parler anglais...

3) traduire : passer du français à l'anglais, mélanger les deux langues de temps en temps (ce que nous n'aurions jamais encouragé dans un contexte unilingue), traduire dans l'une et l'autre langue. Nous sommes bien conscients que nous devrons, dans les prochaines années, assurer la conservation de la langue maternelle en continuant de parler français à la maison. Mais il fallait bien commencer quelque part.

4) les histoires et les chansons : nous avions déjà quelques livres en anglais qui nous ont été fort utiles. Nous les lisions à Montréal en les traduisant simultanément. Tout à coup, ces livres sont devenus compréhensibles en langue originale, sans qu'on ait besoin de les traduire ou presque. Nous avons aussi trouvé des histoires en anglais dont il connaissait la version française.

5) les livres-audio : on en possédait déjà en français, j'ai continué à en écouter avec lui en anglais. Excellent pour se faire l'oreille. 

6) les imagiers (livres ou cartes à jouer) : nous avons récemment commencé à jouer avec ça. Je pose une question ("Where is the cat ?") et il me montre l'objet ou alors je lui demande tout simplement de nommer ce qui se trouve sur la page. Bons aussi pour compter, pour décrire, pour raconter...

7) être exposé le plus possible à la langue seconde : il n'y a rien de mieux que des locuteurs natifs pour apprendre les idiomes et l'accent, pour se faire l'oreille et répéter comme il faut. 

Et tout ça, sous l'oeil attentif (et surtout l'oreille) de notre petit Aurèle. Je sais encore moins comment ce sera pour lui, d'ailleurs. Différent, sans doute. Je ne sais pas comment ça se passe quand on nait dans un pays qui ne parle pas la même langue que nos parents. Mais pour un enfant de trois ans qui possédait déjà très bien sa langue maternelle, je trouve l'expérience de l'immersion extrêmement concluante et fascinante. Je ne sais pas ce qui restera à Jean-Léon de cette connaissance de l'anglais, une fois qu'on sera rentré au Québec. Mais on fera en sorte, j'imagine par d'autres stratégies, que cela lui reste le plus longtemps possible.

***

Récemment, j'ai amené Jean-Léon au salon de coiffure. Nous étions allés à ce salon pour la première fois peu de temps après notre arrivée à Oxford. J'avais dû, à l'époque (c'était au mois de septembre je crois), rester debout à côté de mon fils et lui traduire tout ce que disait la coiffeuse : "ne bouge pas, tourne ta tête, non, de ce côté-là...penche-toi, regarde la coiffeuse", etc.

Cette fois-ci, je suis restée un peu à l'écart. J'ai regardé comment les choses se passaient. Très bien, devais-je être tenue de constater. Jean-Léon obéissaient aux demandes de la coiffeuse, choisissait un des livres qu'elle lui proposait et lui faisait même la conversation : "Look! It's a pink T-Rex! I love dinosaurs!" 

À aucun moment, pendant qu'elle lui coupait les cheveux, la coiffeuse n'a pu se douter que mon fils ne parlait pas anglais il y a quelques mois. Il parlait un anglais rudimentaire et imparfait, comme le parlent beaucoup d'enfants du même âge. Je me suis dit, pour la première fois depuis notre arrivée à Oxford, que mon fils n'avait plus besoin de moi pour communiquer, comprendre, se faire comprendre, aller vers les autres. Je me alors sentie extrêmement soulagée. Et extrêmement fière de lui.




10 commentaires:

  1. Magnifique, vous devez être si fier de lui et de vous! Et c'est comme si un poids s'enlève de nos dossiers de parents.
    Ai-je compris qu'il y a une vidéo? Si c'est le cas, je ne la vois pas. Décidément, j'ai des petits problèmes techniques...
    MarieNoël
    XX

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    1. J'ai remédié à la situation en mettant la vidéo sur You tube. Tu trouveras le lien sur le billet suivant. Tu me diras si ça fonctionne! xxx

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  2. Wow c'est ben hot,il est incroyable cet enfant la.C'est malheureux je ne peux pas mettre le film dans le tome 2 hihi,mais c'est super a écouter.Bonne nuit xxx

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  3. De quoi être très très fière ! Tu sembles tellementbien observer tes enfants et te servir de ce que tu vois et ce que tu ressens avec une très grande perspicacité. Bravo!

    Françoise

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    1. Merci beaucoup, Françoise de m'encourager. Ça me fait vraiment chaud au coeur. C'est un travail quotidien que de les suivre...j'essaie d'y trouver satisfaction à chaque jour même si ce n'est pas toujours évident. Je me consacre à eux en ce moment, ça occupe, mettons!

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  4. J'adore le dernier "Falling down"! On reconnait très bien l'accent "british"

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  5. Quel beau cadeau à faire à un enfant! J'ai quatre enfants et l'une des filles a fait une maternelle privée en anglais à quatre ans. Elle est ensuite entrée en première année à l'école francophone du quartier (dérogation scolaire). Elle n'a jamais vraiment perdu les acquis de sa maternelle anglaise (on l'envoyait dans des camps de vacances anglais l'été) et est une vraie bilingue aujourd'hui, avec accent correct et tout et tout, ce qui lui sert énormément dans son travail actuel.

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  6. Une femme libre, des histoires comme la vôtre, on n'en a jamais assez! C'est un beau cadeau en effet que celui d'une langue, quelle qu'elle soit. Merci d'être passée par ici et d'avoir pris le temps d'écrire.

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